Il est vrai que la psychiatrie [.] conteste que des esprits malins étrangers aient pénétré dans la vie psychique ; mais par ailleurs, elle se contente de hausser les épaules en disant : dégénérescence, disposition héréditaire infériorité constitutionnelle! La psychanalyse, elle, entreprend d'élucider ces cas de maladie étranges [unheimlich], elle se lance dans des investigations minutieuses et de longue haleine, élabore des concepts auxiliaires et des constructions scientifiques, et elle peut finalement dire au moi : " Rien d'étranger n'est entré en toi; c'est une partie de ta propre vie psychique qui s'est dérobée à ta connaissance et à la domination de ta volonté. C'est pourquoi d'ailleurs tu es si faible pour te défendre ; tu combats avec une partie de tes forces contre l'autre partie ; tu ne peux pas mobiliser toutes tes forces comme contre un ennemi extérieur. Et ce n'est même pas la part la plus mauvaise ou la plus insignifiante de tes forces psychiques qui s'est ainsi opposée à toi et est devenue indépendante de toi. La responsabilité, je dois le dire, t'en incombe entièrement. Tu as surestimé tes forces quand tu as cru que tu pouvais faire de tes pulsions sexuelles ce que tu voulais, et que tu n'avais pas besoin de faire le moindre cas de leurs intentions. Alors elles se sont révoltées, et ont suivi leurs propres voies obscures pour échapper à la répression, elles se sont fait droit d'une manière qui ne peut plus te convenir. [.]Accepte donc sur ce point de te laisser instruire ! Le psychique en toi ne coïncide pas avec ce dont tu es conscient ; ce sont deux choses différentes, que quelque chose se passe dans ton âme, et que tu en sois par ailleurs informé. [.] Tu te comportes comme un souverain absolu, qui se contente des renseignements que lui apportent les hauts fonctionnaires de sa cour, et qui ne descend pas dans la rue pour écouter la voix du peuple. Entre en toi-même, dans tes profondeurs, et apprends d'abord à te connaître, alors tu comprendras pourquoi tu dois devenir malade, et tu éviteras peut-être de le devenir. "
Freud (1856-1939), Une difficulté de la psychanalyse