Ainsi se créé un trésor de représentations, né du besoin de rendre supportable la détresse humaine, édifié avec le matériel fourni par les souvenirs de détresse de la propre enfance et de celle du genre humain. Ce fonds protège l'homme dans deux directions, contre les dangers de la nature et du destin et contre les dommages de la société humaine. Du rapprochement de ces deux aspects se dégage l’idée suivante : la vie sur cette terre sert une fin plus haute, qui est difficile à deviner certes, mais signifie avec certitude l’accomplissement de l’être humain. Il est vraisemblable que c’est la dimension spirituelle de l’homme, son âme[1], laquelle s’est séparée si lentement du corps et avec tant de réticences qui doit être l’objet de cette élévation et de cette supériorité. Tout ce qui arrive dans le monde est l’accomplissement des intentions d’une intelligence qui nous dépasse, laquelle, par des voies et des détours qu’il nous est certes difficile de pénétrer, conduit finalement toutes choses vers le bien, c’est-à-dire vers ce qui nous réjouit. Une providence bienfaisante, qui n’est sévère qu’en apparence, veille sur chacun de nous et ne permet pas que nous devinions le jouet de forces surpuissantes et impitoyables de la nature ; la mort elle-même n’est pas un anéantissement, ni un retour à l’inorganique dénué de vie, mais le commencement d’une nouvelle sorte d’existence, qui est sur la voie d’un développement supérieur. Et de l’autre côté, ces mêmes lois morales que nos cultures ont établies dominent également toute l’histoire universelle,, mais là une cour de justice plus haute veille à leur observation avec incomparablement plus de force et de logique. Le bien trouve toujours en fin de compte sa récompense, le mal son châtiment, si ce n’est pas dans cette vie-ci, du moins dans les existences ultérieures qui commencent après la mort.
Freud (1856-1939), L’Avenir d’une illusion (1927)
[1] Partie de la personne considérée en métaphysique et dans les religions comme un principe séparable du corps et éventuellement immortel