La littérature esthétique est encombrée de tentatives désespérées pour répondre à la question «Qu’est-ce que l’art? » Cette question, souvent confondue sans espoir avec la question de l’évaluation en art «Qu’est-ce que l’art de qualité? », s’aiguise dans le cas de l’art trouvé – la pierre ramassée sur la route et exposée au musée; elle s’aggrave encore avec la promotion de l’art dit environnemental[1] et conceptuel[2]. Le pare-chocs d’une automobile accidentée dans une galerie d’art est-il une œuvre d’art? Que dire de quelque chose qui ne serait pas même un objet, et ne serait pas montré dans une galerie ou un musée – par exemple, le creusement et le remplissage d’un trou dans Central Park, comme le prescrit Oldenburg[3] ? Si ce sont des œuvres d’art, alors toutes les pierres des routes, tous les objets et événements, sont-ils des œuvres d’art? Sinon, qu’est-ce qui distingue ce qui est une œuvre d’art de ce qui n’en est pas une? Qu’un artiste l’appelle œuvre d’art? Que ce soit exposé dans un musée ou une galerie? Aucune de ces réponses n’emportent la conviction.[.]
Une partie de l’embarras provient de ce qu’on pose une fausse question – on n’arrive pas à reconnaître qu’une chose puisse fonctionner comme œuvre d’art en certains moments et non en d’autres. Pour les cas cruciaux, la véritable question n’est pas «Quels objets sont (de façon permanente) des œuvres d’art? » mais «Quand un objet fonctionne-t-il comme œuvre d’art? » – ou plus brièvement, comme dans mon titre, «Quand y a-t-il de l’art? »
Ma réponse: exactement de la même façon qu’un objet peut être un symbole – par exemple, un échantillon – à certains moments et dans certaines circonstances, de même un objet peut être une œuvre d’art en certains moments et non en d’autres. À vrai dire, un objet devient précisément une œuvre d’art parce que et pendant qu’il fonctionne d’une certaine façon comme symbole. Tant qu’elle est sur une route, la pierre n’est d’habitude pas une œuvre d’art, mais elle peut en devenir une quand elle est donnée à voir dans un musée d’art.
Nelson Goodman (1906-1998), Manières de faire le monde (1977)
[1] Art qui intervient dans le milieu naturel mêlant ainsi la beauté naturelle et la beauté artistique
[2] Art dématérialisé qui fait du concept ou projet artistique la véritable œuvre d’art
[3] Artiste contemporain américain
Cette vidéo peut vous donner l'idée d'un type d'art dont parle Goodman dans le texte.
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