Quel que soit le contexte historique dans lequel il est plongé, l'homo religiosus[1] croit toujours qu'il existe une réalité absolue, le sacré, qui transcende ce monde-ci, mais qui s'y manifeste et, de ce fait, le sanctifie et le rend réel. Il croit que la vie a une origine sacrée et que l'existence humaine actualise toutes ses potentialités dans la mesure où elle est religieuse, c'est-à-dire : participe à la réalité. Les dieux ont créé l'homme et le Monde, les Héros civilisateurs ont achevé la Création, et l'histoire de toutes ces œuvres divines et semi-divines est conservée dans les mythes. [.]
II est facile de voir tout ce qui sépare ce mode d'être dans le monde de l'existence d'un homme areligieux[2]. Il y a avant tout ce fait : l'homme areligieux refuse la transcendance, accepte la relativité de la « réalité », et il lui arrive même de douter du sens de l'existence. [.] L'homme se fait lui-même[3], et il n'arrive à se faire complètement que dans la mesure où il se désacralise et désacralise le monde. Le sacré est l'obstacle par excellence devant sa liberté. […] Mais cet homme areligieux descend de l'homo religiosus et, qu'il le veuille ou non, il est aussi son œuvre, il s'est constitué à partir des situations assumées par ses ancêtres. En somme, il est le résultat d'un processus de désacralisation.
Mircea Eliade (1907-1986), Le Sacré et le Profane, 1957
[1] L’homme entendu comme espèce dont le caractère essentiel est la religion
[2] L’homme sans religion, comme « a-thée » sans dieu
[3] L’homme se définit hors de toute référence à dieu, agissant dans le monde et se façonnant par son action