La seule façon d'ériger un tel pouvoir commun, apte à défendre les gens de l'attaque des étrangers, et des torts qu'ils pourraient se faire les uns aux autres[1], et ainsi à les protéger de telle sorte que par leur industrie[2] et par les productions de la terre, ils puissent se nourrir et vivre satisfaits, c'est de confier tout leur pouvoir et toute leur force a un seul homme, ou à une seule assemblée qui puisse réduire toutes leurs volontés[3], par la règle de la majorité‚ en une seule volonté. Cela revient à dire: désigner un homme, ou une assemblée‚ pour assumer leur personnalité‚ et que chacun s'avoue et se reconnaisse comme l'auteur de tout ce qu'aura fait ou fait faire, quant aux choses qui concernent la paix et la sécurité‚ commune, celui qui a ainsi assumé‚ leur personnalité, que chacun par conséquent soumette sa volonté‚ et son jugement à la volonté‚ et au jugement de cet homme ou de cette assemblée. Cela va plus loin que le consensus, ou concorde[4]: il s'agit d'une unité réelle de tous en une seule et même personne, unité réalisée par une convention[5] de chacun avec chacun passé de telle sorte que c'est comme si chacun disait à chacun: j'autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière. Cela fait, la multitude ainsi unie en une seule personne est appelée REPUBLIQUE[6], en latin CIVITAS. Telle est la génération[7] de ce grand LEVIATHAN, ou plutôt pour en parler avec plus de révérence, de ce dieu mortel[8], auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection.
T. Hobbes (1588-1679), Léviathan (1651)
[1] Hobbes suppose qu’à l’état de nature « l’homme est un loup pour l’homme » donc que c’est la guerre permanente pour la survie ou simplement pour la reconnaissance
[2] Travail, liberté
[3] Les divergences entre particuliers sont effacées quand tous sont soumis aux lois
[4] Ce n’est pas la sociabilité naturelle dont parlé Aristote
[5] Contrat, accord
[6] Peuple organisé en Etat (par constitution) et l’administration du bien public.
[7] L’Etat ne vient ni de la nature, ni de Dieu, mais d’un pacte ou convention entre les citoyens.
[8] L’Etat inspire de la crainte puisqu’il détient toute la force réunie de tous ses citoyens