Ce qu'on ne doit pas perdre de vue, c'est que le génie, pour être fécond, doit posséder une pensée disciplinée et cultivée, et un exercice plus ou moins long. Et cela, parce que l'œuvre d'art présente un côté purement technique dont on n'arrive à se rendre maître que par l'exercice. Ceci est plus particulièrement vrai des arts qui comportent une dextérité manuelle, par laquelle ils se rapprochent plus ou moins des métiers manuels. Tel est le cas de l'architecture et de la sculpture, par exemple. La dextérité manuelle est moins nécessaire en musique et en poésie. Mais, même dans celle-ci, il y a tout un côté qui demande, sinon un apprentissage, tout au moins une certaine expérience : l'art de rimer constitue le côté technique de la poésie, et ce n'est pas par l'inspiration qu'on en acquiert la connaissance. Tout art s'exerce sur une matière plus ou moins dense, plus ou moins résistante, qu'il s'agit d'apprendre à maîtriser. D'autre part, l'artiste doit connaître d'autant mieux les profondeurs de l'âme et de l'esprit humain que le rang qu'il ambitionne est plus élevé. Or, cette connaissance ne s'acquiert pas non plus d'une façon directe, mais à la suite d'une étude du monde extérieur et du monde intérieur. Et c'est cette étude qui lui fournit les sujets de ces représentations.
Hegel (1770-1831), Esthétique (1821)