Nous n’avons maintenant plus aucune indulgence pour la notion de « libre arbitre » ; nous ne savons que trop ce que c’est (le plus suspect des tours de passe-passe des théologiens, aux fins de rendre l’humanité « responsable », au sens où ils l’entendent, c’est-à-dire de la rendre plus dépendante des théologiens...[.] Chaque fis que l’on cherche à « établir les responsabilités », c’est habituellement l’instinct de vouloir punir et juger qui est l’œuvre. C’est dépouiller le devenir de son innocence qu’attribuer à une volonté, à des intentions, à des actes de responsabilité le fait d’être de telle ou telle manière. La théorie de la volonté a été essentiellement inventée à des fins de châtiment, c’est-à-dire par « désir de trouver coupable ». Toute l’ancienne psychologie, la psychologie de la volonté, est née de ce que ses auteurs, les prêtres qui étaient à la tête des anciennes communautés, voulaient se donner un droit d’infliger des punitions, ou donner à dieu un tel droit… Si l’on a conçu les hommes « libres », c’est à seule fin qu’ils puissent être jugés et condamnés, afin qu’ils puissent devenir coupables : par conséquent, il fallait absolument que chaque action fût conçue comme voulue, que l’origine de toute action fût conçue comme résidant dans la conscience.
Nietzsche (1844-1900), Le crépuscule des idoles (1888)