Cette idée d'un Maître moral du monde est un problème dont s'occupe notre raison pratique. L'important pour nous n'est pas de savoir ce qu'est Dieu en lui-même (dans sa nature), mais ce qu'il est pour nous en tant qu'êtres moraux ; il est vrai qu'eu égard à cette relation nous devons concevoir et admettre en Dieu, comme choses essentielles à sa nature, les attributs qui, sous ce rapport-là, lui sont indispensables, dans leur perfection absolue, pour l'exécution de sa volonté (tels que l'immutabilité[1], l'omniscience[2] et la toute-puissance), et qu'en dehors de cette relation nous ne pouvons rien connaître de lui.

Or, en vertu de ce besoin particulier à la raison pratique, la véritable foi religieuse universelle est la foi en un Dieu : 1° créateur tout-puissant du ciel et de la terre, c'est-à-dire législateur saint, au point de vue moral ; 2° conservateur du genre humain qui régit les hommes avec bienveillance et veille sur eux comme un père (moralischen Versoger) ; 3° gardien de ses propres lois saintes et, par conséquent, juste juge.

Cette foi, à vrai dire, ne renferme point de mystère, n'étant que la simple expression des rapports moraux qui existent entre Dieu et le genre humain; elle vient d'ailleurs s'offrir d'elle-même à n'importe quelle humaine raison, et c'est ce qui fait qu'on la trouve dans la religion de la plupart des peuples civilisés.

Kant (1724-1804), La religion dans les limites de la simple raison (1794

[1] Qui ne change pas

[2] Qui connait toutes les choses